Monter un projet soutenable, qui change les lignes autour des enjeux alimentaires et la gestion de nos déchets organiques en zone urbaine

A travers cet article spécial, je partage mes retours d’expériences sur des éléments clés qui guident la construction d’un projet « innovant » (ou du moins…un projet rare et parait-il inspirant) : autour des enjeux de la gestion des déchets organiques en zone urbaine. Ce sont majoritairement des constats au sortir de 2 ans de travail, ce n’est donc pas la science infuse mais une certaine prise de recul sur des démarches qui peuvent être suivies ou qui peuvent inspirer. Je me base ici sur des principes que l’on peut retrouver dans les mouvements en transition.

Chaque partie n’est pas détaillée en profondeur, l’idée étant d’offrir une vision globale.

  • Des observations au démarrage 

Quels sont les points forts et les éléments favorables. Découvrir ce qui manque et choisir des projets qui font sens avec le groupe.

Sur le territoire, il semble primordial de mener une observation qui intègre :
– Les personnes et leurs activités. Cela commence par identifier quels sont les acteurs engagés sur le sujet en question au sens large à savoir l’alimentation jusqu’aux gestionnaires des déchets organiques. Cela inclus, les autorités locales, les entreprises (producteurs de biodéchets, acteurs de la boucle alimentaire, gestionnaires des déchets…) les collectifs, les associations, les citoyens.

– Le territoire, son contexte réglementaire et son évolution, sous plusieurs aspects. En ce qui concerne les déchets organiques :

  • Quel est le système réglementaire actuel et ses contraintes/bénéfices pour les habitants et commerçants (TEOM, RS…)?
  • Comment sont traités les enjeux alimentaires sur le territoire (logistique, circuits courts, produits bio, transformations, consommations…)? Les projets alimentaires de territoires en route ces dernières années font parties intégrantes de cette étape par exemple.
  • Quels liens se tissent entre villes et campagnes?

– Les interactions entre ces parties prenantes et les enjeux, problématiques, solutions apportées par chacun :
Les interactions entre professionnels du même métier. Exemples : Les restaurants qui ont des problématiques similaires. Les institutions publiques qui font face à des enjeux de mandats politiques et qui ont des visions de calendrier de plus long terme. La « bureaucratie » et parfois la hiérarchie bloquent une certaine flexibilité… tout comme les contraintes budgétaires.IMG_20170405_140009
Les interactions inter-professionnelles : Exemple : Entre restaurateurs, autorité publiques et entreprises (bureaux). Les modèles économiques sont différents et la réactivité face au changement aussi. Les rencontres entre ces professionnels peuvent être parfois difficiles à mettre en place (contraintes horaires et de disponibilité, ou d’entente).

– Le contexte global : Partir du contexte national (voire international) concernant les enjeux déchets, climat, environnement.
Par exemple entre 2016 et 2017 plusieurs évolutions législatives ont eu lieu :
Loi sur la Transition Energétique, Loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République), Loi contre le gaspillage alimentaireLoi Biodiversité

Puis à l’échelle régionale ou de métropole (local) :
Il est important de connaître et bien cerner les conditions réglementaires de son territoire : Sommes-nous en TEOM (Taxe Enlèvement Ordures Ménagères), RS (Redevance Spéciale), Taxe incitative… ? Cela influe nettement sur la faisabilité de certaines actions.

Observer aussi donc ce qu’il se passe sur d’autres territoires (en France et ailleurs) est important afin d’échanger avec eux sur les contraintes, les points d’appuis, les démarches à mettre en place, etc.

  • Collecter l’énergie (humaine!) 

Le maillage du territoire , les ressources disponibles  pour obtenir des moyens humains, matériels et financiers. Mettre en place des stratégies pour que les personnes puissent se lier et s’attacher au projet – TELL THE STORY! Intégrer aussi des partenariats avec d’autres organisations existantes pour favoriser la résilience.

Collecter l’energie… humaine, c’est raconter une belle histoire qui emmène le groupe !

– Comment mobiliser le groupe ?
PHYSIQUE : Cela passe par des temps d’ouverture : apéros, temps de travail, rencontres à vélo (si l’activité est à vélo)… L’important étant qu’à chacune des rencontres, l’objectif soit clair, qu’il y ait des méthodes de créativité afin que chacun sache vers quoi s’engager. Je recommande par là, la facilitation des rencontres avec des outils d’intelligence collective (des ressources infinies existent! Osmos Network utilise cela à Bruxelles sur les sujets des déchets organiques!)

« VIRTUEL & VISUEL » : Les réseaux sociaux : Si les ressources humaines le permettent, les réseaux sociaux sont un bon outil pour toucher de nouvelles personnes, les motiver et interpeller. Attention toutefois à ne pas dédier trop d’énergie et de temps sur ces réseaux !
Ajouter à cela des newsletters régulières en fonction des différents partenaires (institutions, privés, public, adhérents, bénévoles…)

La Tricyclerie-schéma-image

Exemple de facilitation graphique

Un travail permanent de visualisation de nos rencontres et des enjeux et idées exploitées vient alimenter indéniablement les projets. La facilitation graphique se présente comme un outil essentiel pour le projet de La Tricyclerie par exemple (que j’ai lancé il y a deux ans).

OUTILS INFORMATIQUES : Réussir à faciliter la cohésion et éviter les fuites énergétiques grâce à l’usage d’outils partagés est primordial. Exemple : Drive et Dropbox pour les calendriers et dossiers partagés, framadate pour les organisations de rencontres… (Susana nous partage de bons conseils à ce sujet ici!)

UN POINT ESSENTIEL : Chaque personne a ses compétences, ses moyens d’agir, ses réseaux… il semble essentiel que chacun puisse agir là où il se sent le plus utile. La cohésion et l’efficacité viennent aussi avec des éléments moteurs… de superbes surprises à la clé!

Intégrer d’autres partenaires déjà présents sur le terrain, connaisseurs affûtés de leurs sujets ne pourra que favoriser l’efficacité du projet. [Je peux explorer ce point plus en détail par ailleurs]. Ce maillage et stockage des énergies et de ressources humaines est aussi souvent sources de nouvelles créations et d’opportunités financières et matérielles.

  • Start little – Commencer petit : 

Le changement passe par des étapes qui ne sont pas visibles immédiatement. On va donc donner aux groupes le temps de se former et de grandir avant de passer à l’action.

Bien que l’ambition soit haute… si l’on veut changer les lignes à l’échelle d’une ville, d’une région, il semble essentiel de commencer petit pour maîtriser totalement les ressources et compétences disponibles.

Comprendre, interagir, se tromper, accepter l’erreur, adapter, changer, continuer ce qui fonctionne, continuer d’observer… tous ces éléments sont possibles lorsque l’on commence petit, que l’on expérimente et que l’on fait perdurer ce qui fonctionne dans son système.
L’arbre grandit après !IMG_20170405_135945

Par exemple : Pour la mise en place de collecte à vélo des déchets organiques avec les professionnels, nous avons préféré commencer sur un seul quartier avec un vélo et quelques restaurants. De là, nous en avons cerné les limites, les obstacles, les complications (humaines, logistiques, biologiques, économiques…).
Nous avons appris des différents partenaires lieux de collecte, voir les limites du compostage avec de gros volumes, mais aussi l’agilité et la praticité d’une remorque à vélo pour cet usage.

  • Utiliser et valoriser la (bio)diversité !

La diversité est une des caractéristiques majeures de la résilience. Elle se marque aussi par les personnes qui participent au projet, où l’on retrouve un mélange entre des personnes aux qualités complémentaires pour les planifier, les réaliser ou encore les fêter. 

-Entretenir la diversité :
Il est important de favoriser la diversité (des personnes et des compétences, des regards) au sein de l’équipe et avec les partenaires :
– La diversité des profils et la redondance de certaines activités au sein de l’équipe (pour la collecte des déchets organiques) sont importants. En favorisant cette diversité (dans le cas de notre activité par exemple: collecteurs, communicants, designers, visionnaires, « mécanos »…), on est plus apte à faire face aux perturbations. La pluralité des regards vient alimenter les idées et les projets émergents, tout en faisant face aux problématiques opérationnelles et structurelles.
La « redondance des profils » pour la collecte des déchets organiques par exemple, permet de rendre les tâches moins longues, moins fatigantes et se reposant sur moins de personnes. Avec plusieurs personnes disponibles pour la même activité de collecte : chacun peut trouver sa place, tous sont moins fatigués (essentiel dans cette activité d’extérieur) et surtout, face aux changements : chacun réagit différemment et apporte diverses solutions.

-Gérer la connectivité : Il semble aussi indispensable de favoriser la synergie avec d’autres entreprises de domaines complémentaires (gestionnaires de déchets, restaurateurs, agriculteurs, institutions…) :
– Nous acceptons qu’il existe différentes connections à différents niveaux en même temps (de l’ultra local au régional, voire du citoyen à la solution industrielle) et jouons la carte d’être ce connecteur. Par exemple : se concentrer sur comprendre la gestion des déchets organiques d’un restaurant implique non seulement d’intégrer ses contraintes logistiques, horaires, réglementaires, tout en visant à trouver une solution de compostage au plus proche avec les partenaires et solutions les plus adaptées.
-Elargir l’apprentissage : Par ces connectivités, l’apprentissage, l’innovation et l’adaptation au vue des acteurs et de leurs besoins sont encouragés… tout en considérant la part d’incertitude sur ces modèles nouveaux.

L’incertitude: Très intéressante dans des nouveaux modèles ou dans des cas d’activité « non existante » sur le territoire. Pour « faire avec » l’incertitude, la logique de l’effectuation est un excellent moyen qui vient encourager la co-création. [N’hésitez pas à lire sur ce sujet!]

Diversité humaine, connections, adaptations et créativité

  • Utiliser les ressources renouvelables lorsque les conditions sont réunies

Démarrer un projet lorsque des conditions suffisantes sont réunies pour une mise en place utilisant un minimum d’énergie et de persuasion. Porter une attention forte à ce que le contexte local est prêt à accueillir à ce moment là, aux opportunités.

Pour se lancer dans la mise en place de solutions sur la gestion des déchets organiques ou la réduction du gaspillage alimentaire, il paraît clé de connaître la place possible pour des opportunités d’actions. Par exemple pour la gestion des déchets organiques:
Réglementaire : Quelle est la législation en place et la méthode de collecte en place? Si le contexte est favorable pour une collecte séparée des épluchures, alors il sera pertinent de lancer une opération.
– Connaitre le contexte des politiques publiques, ses évolutions, est aussi souvent indispensable car c’est de là que dépend le soutien des institutions locales.  Aller rencontrer élus, équipes techniques de sa ville ou communauté de commune, n’est qu’encouragé!
– Pour démarrer le projet, il est important de réunir les ressources humaines, matérielles, logistiques et financières minimales pour lancer une expérimentation de façon sereine et qui facilite la pérennisation de l’activité.

  • Accepter la rétro-action 

Créer des espaces où habitants et partie-prenantes peuvent faire savoir ce qu’ils pensent.

En créant des espaces d’expression pour les parties prenantes avec des temps de rencontre groupés, des rencontres personnalisées, des entretiens écrits… les formats de retours expériences sont divers.

Plusieurs objectifs peuvent se rejoindre derrière ces espaces d’expression :
– Avoir des retours d’experiences dans l’optique de s’auto-évaluer et d’améliorer certains process (logistiques par exemple, services…)
– Avoir de nouvelles idées qui émergent face à une situation de perturbation (face à un partenaire financier qui ne suit plus… ces espaces permettent de donner un nouveau souffle)
– Atteindre de nouvelles cibles (partenaires, membres actifs, clients…) grâce à une meilleure communication qui émanera des échanges et propositions identifiées.

  • Obtenir un résultat. De l’idée à l’action et l’effet boule de neige

Nos idées aboutissent à une réalisation concrète et visible, ce qui permet d’intégrer plus de monde dans la boucle. Ces réalisations multiplient la motivation des personnes impliquées et permettent d’augmenter la cohésion dans le groupe.

En parvenant à concrétiser certaines actions -même petites- relativement tôt, cela permet de fédérer l’équipe. Les personnes s’impliquent dans leur « mission », la suive, en discutent, l’améliorent et célèbrent quand tout se déroule bien.

Dans notre cas, non seulement, ce sont les collectes en vélo qui sont sources d’idées, d’améliorations, de nouveaux contacts… Ce sont aussi les temps d’animations parallèles qui viennent appuyer la cohésion du groupe. L’initiative de la collecte peut donc être « support projet » à plusieurs activités: entre activité de terrain et études. 

Un élément essentiel reste aussi la rémunération. Demander aux clients et aux partenaires une rémunération juste permet à chacun de vivre dignement, de faire perdurer l’activité et de rendre des résultats de qualité. C’est une politique que mène excellemment Quentin Noire avec Les Moutons de l’ouest  pour l’éco-paturage dans la région. L’objectif étant de viser l’autonomie dans son activité afin de pouvoir aussi prendre le temps de diversifier ses activités par ailleurs.

  • Intégrer plutôt que séparer

Une vision globale qui intègre les différents points de vues.

Intégrer quels points de vue? Ceux des habitants, des autorités, des acteurs de l’économie locale, des scientifiques, des universités, mais aussi ceux des autres acteurs qui nous suivront.
– Cela se traduit par la mise en place de partenariats et de processus de travail collaboratif qui permettent l’émergence de solutions locales. Par la suite, ces solutions se mettent en réseau et prennent une importance régionale, nationale, internationale… C’est un changement par la base. Discosoupe en est un excellent exemple d’essaimage.
Il peut également être recommandé de travailler avec une structure extérieure pour la facilitation et l’animation de ce travail collaboratif.

Intégrer plutôt que séparer c’est aussi créer une relation de partenariat plutôt que concurrentielle avec les acteurs du métier.

Par exemple: La Tricyclerie développe des partenariats logistiques avec d’autres acteurs de la gestion des biodéchets comme Compost In Situ plutôt que de se positionner sur un champ concurrentiel. Cela ouvre de nouvelles possibilités de gestion plus locale de ces épluchures et de leur valorisation chez des agriculteurs.

Intégrer c’est aussi transmettre du savoir, transmettre des compétences et des idées (nouvelles?). Un projet qui se veut inscrit dans la transition écologique a donc tout intérêt à être mis en valeur et partager au sein des parcours étudiants. C’est une force qui se voit souvent en retour appuyée par des apports nouveaux et frais d’étudiants de différents parcours. 

  • Planification et mise en oeuvre progressive

A partir de cette représentation globale d’un futur possible, on va planifier la mise en œuvre progressive et détaillée de cette vision. Même si l’action commence petit… c’est avant tout une représentation globale du futur qui guide la vision de projet.  C’est cette vision globale qui donnera l’ossature du projet et le détail de l’action.

Prenons l’exemple du chemin parcouru pour atteindre la solution de collecte à vélo :

« Les fruits et légumes sont produits, transportés, transformés et mangés. Si l’on ne considère que la partie épluchures, marc de café, soit les éléments « non mangés » -sans parler ici de gaspillage alimentaire-… la quantité et les volumes sont énormes. Actuellement pour la majoritairé, ils sont incinérés en France. Des alternatives à l’incinération existent. Et ce, de l’échelle industrielle à locale (méthanisation, micro-méthanisation, alimentation animale, compostage). En ville, les enjeux logistiques face à ces volumes d’épluchures sont complexes au vue des rues étroites et difficiles d’accès en camion. Une logistique alternative et douce peux donc se tester : le vélo pour du compostage »

  • Utiliser le changement et y réagir avec créativité 

Enfin, je terminerai par ce point qui laisse place aussi à l’imaginaire et au rêve: ne pas s’accrocher au plan de façon rigide mais l’évaluer, l’adapter au contexte et se saisir des opportunités non planifiées c’est aussi une certaine « prise de risque » permet la créativité !

Quelques ressources et structures qui servent au quotidien dans ce travail:

  • France Nature Environnement pour toutes son expertise sur la biodiversité
  • Zero Waste France pour le travail de plaidoyer sur les déchets
  • Reporterre pour ses multiples dossiers liés entre autre à l’alimentation
  • Osmosnetwork pour leur travail de facilitation à l’intelligence collective entre citoyens-institutions et université au sujet des liens ville-campagne et déchets organiques.
  • Compost Pedallers pour leur partage d’expérience et blog similaire à ce que nous menons à Nantes avec La Tricyclerie.

Une réflexion sur “Monter un projet soutenable, qui change les lignes autour des enjeux alimentaires et la gestion de nos déchets organiques en zone urbaine

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